Guide du parler villeneuvois à l’usage des Néo-Villeneuvois.

Jacques Coudène 2009 – N°65 – p.75

Villeneuve-de-Berg change, Villeneuve-de-Berg voit sa population singulièrement augmenter. Les « Néo-Villeneuvois » sont de plus en plus nombreux. Et pour nombre de ces nouveaux venus, l’envie de s’insérer dans « le tissu local ». Comment se faire une place dans les « salons villeneuvois » quand on est Néo ? La connaissance des particularismes du langage villeneuvois peut être une des clés d’accès. D’où ce petit guide initiatique pour connaitre les subtilités du parler local.

Les grandes familles

Le premier terme à connaitre absolument est celui de « Vieux­ Villeneuvois ». Une appellation qui n’a aucun rapport avec l’âge mais désigne les habitants de Villeneuve-de-Berg qui affichent de nombreuses générations de Villeneuvois avant eux. On ne devient pas « Vieux-Villeneuvois » : on nait « Vieux-Villeneuvois » ! Et à l’image des ministres et autres personnages de haut rang, le titre est attribué pour toute son existence. Même si le Vieux-Villeneuvois est exilé à Paris, Marseille ou Lyon et ne remet que rarement les pieds à Villeneuve-de-Berg.
Ces Vieux-Villeneuvois sont généralement tous parents entre eux. Le Vieux-Villeneuvois parle de son cousin, de sa cousine et des liens qui les unissent : c’est le frère de la sœur de la tante qui était la cousine du mari du grand-père… D’où un premier conseil à donner aux Néo : ne critiquez jamais un Vieux-Villeneuvois devant un autre Vieux-Villeneuvois, vous vous attaquez forcément à un parent plus ou moins lointain… avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour votre intégration !

Pour la suite de cette initiation, nous désignerons par « Villeneuvois » les Vieux-Villeneuvois ainsi que tous ceux qui vivent à Villeneuve-de-Berg depuis plusieurs décennies et pratiquent le fameux « parler villeneuvois ».

Sur la route de Villeneuve

Tout commence, pour l’arrivant du côté d’Aubenas (on lira l’article à l’ envers si on arrive de Montélimar) par le « Pont de Pauline » le pont qui enjambe la rivière dans le quartier de la Gare de Villeneuve. Certes, depuis quelques mois il est délaissé mais pendant des décennies, il a été emprunté par des millions de véhicules et forcément par ceux qui venaient à Villeneuve-de-Berg.
Au passage, on peut noter aussi une première originalité : la Gare de Villeneuve-de-Berg est à 5 km de Villeneuve-de-Berg et elle se situe … sur la commune voisine de Saint-Germain.
Sur le pont, donc, le panneau qui indique le nom de la rivière. Il est a lui seul une excellente introduction aux méandres du parler local. Même si dans ce cas, la particularité langagière est due à un responsable de la DDE à l’écriture sans doute peu lisible. Cette rivière, c’est la Claduègne. Mais sur ce panneau, on a pu lire « Claduègue » jusqu’à ce qu’il soit remplacé et qu’on lise « Claduègne ». Finalement, quelques années plus tard, on est arrivé à la vraie dénomination « Claduègne ». De quoi déboussoler le Néo mais intéressant pour le Villeneuvois qui peut, selon la dénomination donnée à la rivière par ce même Néo, définir approximativement le millésime de son année d’arrivée.
Quelques kilomètres plus loin, le panneau qui indique l’entrée dans Villeneuve-de-Berg. Et le Néo prononcera immanquablement le « g » de Berg (comme il dira Aubenasse ou Antrègues ou encore Vogue et le plus comique Tuyette pour Thueyts), à la différence du Villeneuvois qui prononcera un plus distingué « Ber». Vous direz aussi Vil’neuve-de-Ber, en éludant le« e ».

D’appellation en appellation

Arrivée dans Villeneuve. Premier monument rencontre : la Pyramide dédiée à Olivier de Serres. Le Néo, qui a lu Astérix, fier de ses connaissances, dira l’Obélisque. Mais le Villeneuvois n’a que faire d’Obélix pas plus que des mathématiques. A l’origine on devait construire une pyramide qui s’est muée pour des raisons obscures, en obélisque. Le terme de pyramide avait été prononcé : même s’il n’a pas eu de concrétisation, il est resté et a même été gravé dans la pierre. Ne vous aventurez surtout pas à expliquer qu’une pyramide est composée d’une base carrée et de quatre côtes en forme de triangle : le Villeneuvois s’en moque comme de l’An Quarante. Adaptez vous, les Néo, bafouez la géométrie et dites vous qu’en vérité, au sommet de votre obélisque, il y a une petite pyramide qui vous dédouanera (un peu) de toute hérésie mathématique.
Juste à côté de la « pyramide », la Place Couverte que le Néo baptise, dès son arrivée «Halle couverte». Erreur fatale : halle ça fait parisien, ça fait grande ville, ça fait du Nord. On pourrait presque dire que ça fait prétentieux. Ici on a une Place Couverte. Que cela soit dit !
Et le Jardin public ? On vient de baptiser l’école publique « Ecole publique du Parc ». Simple, et indicatif de !’emplacement de l’école. C’était cependant oublier le parler villeneuvois : aucun Villeneuvois ne connait le parc. Pour lui, c’est et ce sera le Jardin Public, qui, avouons le, est un terme bien plus proche du peuple et de sa liberté à fréquenter un espace qui lui appartient. Mais il est bien évident que la dénomination « Ecole publique du jardin public » aurait été un peu lourde et que «Ecole du Parc» quoi qu’on en pense, fait plus distingué.

De rue en rue

Il y a quelques années, la municipalité a décidé d’apposer des plaques de rues. Elles avaient existé autrefois, puis avaient disparu au fil des ans, en raison de travaux aux façades, de détériorations de leurs fixations, de jets de pierres de galopins… On n’a jamais très bien su ou étaient passées ces plaques d’origine. Sans doute les maçons n’avaient ils pas jugé bon de les remettre en place tant les Villeneuvois connaissaient leur ville. Quelques unes avaient surement fini par obturer des fénestrous, caler quelque objet dans la cave, boucher un trou, ou tout simplement avaient été jetées à la décharge de Fantaurie (d’accord, les plans officiels stipulent « Fontaurie » mais les Vieux­ Villeneuvois disent Fantaurie en appuyant sur le « au » et en le prononçant de manière ouverte comme dans «aube» ).

Louable idée donc que de remettre en avant le nom des rues : il est aisé de retrouver une adresse et le travail est facilité pour le facteur-Néo confronté à un vrai casse-tête. D’autant qu’on a ajouté en même temps une numérotation aux maisons. Pendant longtemps, les conseillers municipaux villeneuvois étaient restés sourds aux injonctions de La Poste, chacun sachant très bien ou habitait tel ou telle. Seule l’arrivée des Néo a changé cette vision des choses. On entrait dans le XXIème siècle et les Néo de plus en plus nombreux ne s’y retrouvaient plus.
Je ne veux en aucun cas mettre en doute l’honnêteté de l’agent qui a eu la charge de ce travail. Ce fut une tâche longue et les anciens plans cadastraux furent longuement consultés pour ne pas faire d’affront au passé. Mais voilà-t-il pas qu’avant même la dernière plaque posée, les remarques affluent à la mairie.
Les Villeneuvois comprennent mal pourquoi la « Rue Charbonnier » est soudain devenue « Rue de Charbonnier ». Ce «de» gêne : on ne veut pas d’un noble, on ne veut pas davantage donner la rue à ce M. Charbonnier dont on ne sait rien. Rue des Charbonniers aurait sans doute été mieux admis mais y a-t-il eu des charbonniers ici ? Bref, tant que les Villeneuvois vivront, ils habiteront et ils libelleront leur adresse « Rue Charbonnier » n’hésitant pas à corriger « Rue de Charbonnier » sur les adresses pré-imprimées se référant, elles, à la « Liste officielle des rues telle qu’établie par la commune. »
Même polémique pour la Rue Nationale. Le lièvre a été levé par un Vieux-Villeneuvois de haute caste, le poète et écrivain Léon-Mary Estebe. Homme charmant et plein d’humour au demeurant, son sang n’a fait qu’un tour et la colère a grondé lorsqu’il a constaté que la Rue Nationale avait pris la place de la Rue Saint-Louis sur les nouvelles plaques. La République ne remplacerait pas le Roi, saint-patron de la ville ! Démarche à la mairie, presse alertée, tout est rentré dans l’ordre lorsque les deux noms ont été apposés l’un sous l’autre. En gens courtois, on n’a pas ergoté sur celui qu’il fallait mettre en premier. Le consensus a été trouvé : la République d’aujourd’hui et la Royauté d’hier cohabitent désormais.

Pour prouver cet attachement aux noms de rues, l’affaire de Basse-Rue est elle aussi éloquente. Basse-Rue : presqu’une ville dans la ville avec, pendant longtemps des familles essentiellement de gens de la terre, installées là depuis des générations, comme dans sa parallèle voisine, la Rue de Serre. On ne pouvait pas débaptiser ce quartier avec ses traditions et ses liens très forts entre voisins. Le pauvre Roger Vallos, ancien adjoint au maire, connu pour sa popularité et sa disponibilité, respectueux de la tradition villeneuvoise, n’aurait pas, non plus, apprécié la plaisanterie. Et justement, c’est par lui que le scandale aurait pu arriver. Car la municipalité voulait donner son nom à la rue qu’il avait habitée pendant toute sa vie. Mais on ne pouvait pas débaptiser Basse-Rue ! Cruel dilemme vite oublié : la plaque porte le nom de Basse-Rue accole à celui de Rue Roger-Vallos, hommage a un élu dévoué. Merveille, là encore, de la diplomatie locale.

Juste à côté, difficile de baptiser une place « Place des Cochons ». Déplacé dans une « bastide royale ». Surtout que le nom officiel était « Place des Capucins » ou « Place Saint-Antoine ». Pourtant, lors des foires, c’était sur cette place que l’on vendait les cochons d’où son nom populaire qui a traversé les années. Sachez donc que la très sainte « Place des Capucins – Place Saint-Antoine » est pour les Villeneuvois la « Place des Cochons. » De quoi faire quand même plaisir à Saint­ Antoine, souvent représenté avec cet animal à ses côtés et qui à justement sa statue sur la «Place… des Cochons !»

Puisqu’on est dans le quartier, allons jusqu’à la Rue de Serre. Sur cette voie, débouche la « Rue de l’Aire » : appellation scandaleuse pour les Villeneuvois qui l’ont fréquentée du temps où ce n’était qu’un chemin de terre. Ils restent sur le nom traditionnel « Chemin de l’Aire », plus bucolique, avouons le.

Enfin, il y a la prononciation comme celle de la Rue du Barry. Le Néo dira ça d’un ton neutre. Le Villeneuvois, lui, appuie fortement sur le« Ba» disant le« ry » comme dans un souffle, ce qui lui donne un petit côté italien. On terminera ce petit tour des quartiers villeneuvois par une sortie extra-muros jusqu’au Quartier de Larjavelier, entre le Petit-Tournon et Saint-Maurice d’Ibie. Celui que les vieux Villeneuvois ne connaissent que par le nom de « La Javelier ». Sans doute un hommage aux javelles, ces plantes piquantes, qui ne manquent pas de pousser en grand nombre dans le coin.

Sur les vagues de l’histoire

Revenons en « centre-ville », devant la façade d’un bâtiment hautement historique : l’Hôtel de Ville. C’est là que la première pierre de « Villa nova de Berco » aurait été posée en 1284. Au-dessus de la porte, une inscription originale, que les touristes ne manquent pas de photographier « Obéissance à la Loi ». Pourquoi, dans la Bastide royale, a-t-on écrit une telle maxime ?
Regardez de plus près : !’inscription est décalée vers la droite. Nos historiens locaux aux indéniables qualités de détective ont éclairci le mystère : à la place de « Obéissance à la Loi » figurait sans doute « Obéissance au Roi » qui rétablit l’équilibre géométrique du fronton avec un même espace de chaque côté de l’inscription. Le parler villeneuvois a su, dans ce cas, modifier son expression, une fois l’institution de la République affirmée. Et gare au Néo de l’époque qui serait reste royaliste : les nouveaux élus du peuple ont affiché leurs opinions à la vue de tous.

Un bourg ? Non, une ville

Voilà un tour d’horizon sans doute incomplet de ce parler tel qu’on le pratique encore dans la ville. D’accord, je vous entends les Néo : « ce n’est pas une ville, mais un bourg, un gros village». Sachez que depuis que la population a augmenté, on peut parler de ville (et on ne s’en prive pas !) au sens administratif du terme (supérieure à 2 000 habitants). Mais avouons que cette désignation comme ville est depuis longtemps employée par les Villeneuvois, orgueilleux habitants du chef-lieu de canton. Une ville sans comparaison avec les villages ou les hameaux habités par les « gens de la campagne » qui, autrefois, venaient à la foire à Villeneuve, à la messe, « au » coiffeur ou « au » docteur ce qui leur offrait l’occasion de boire un coup dans les nombreux estaminets … de la ville.

D’origine plus ou moins contrôlée

Pour terminer, vous me demanderez peut-être : « Mais qui êtes-vous pour parler ainsi des uns et des autres, des Vieux-Villeneuvois et des Néo-Villeneuvois ? »
Eh bien j’ai une certaine liberté parce que je suis un Villeneuvois du « Troisième Type ». J’appartiens à une classe intermédiaire : celle des « Anciens – Villeneuvois » qui me situe entre les Vieux et les Néo-Villeneuvois. Cela à cause de mon ascendance. Bien que né à Villeneuve il y a un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, dans la maternité de l’hôpital de Villeneuve, mes grands-parents paternels ont eu la fâcheuse idée de n’arriver ici que dans les Années Trente quand ils ont acheté le café – restaurant « Le Globe ». Quant à mes grands-parents maternels, ils dépendaient de Villeneuve pour la paroisse et de Mirabel pour la mairie : pas Villeneuvois à part entière.
Je ne peux donc pas encore prétendre à l’Appellation d’Origine Contrôlée « Vieux-Villeneuvois ». Ce qui n’empêche pas l’Ancien-Villeneuvois de rester attaché à sa ville, à ses traditions et à ses appellations. Il a aussi l’avantage de pouvoir briller autant dans la société des Néo-Villeneuvois que dans celle des Vieux-Villeneuvois. En effet, il possède la culture villeneuvoise nécessaire pour épater les premiers et celle indispensable pour évoquer des souvenirs avec les seconds. C’est donc avec l’aval, je l’espère, de ces différentes légitimités, que je pense être autorisé à écrire cette anthologie forcément incomplète du « parler villeneuvois ».

Et je le rappelle aux Néo : l’intégration passe par le parler local ! N’oubliez pas : il ne faut pas forcément appeler un chat, un chat… et un Villeneuvois, un « Vieux-Villeneuvois. »